
Vers une nouvelle culture constructive | Rencontre avec Sylvain JARNIGON,13HorSite
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Témoignages

Bonjour Sylvain JARNIGON, comment allez-vous dans cette période de crise sanitaire, doublée d’un début de crise économique, sans oublier la crise climatique qui s’accentue ?
Eh bien, je navigue à vue. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de vision, mais « grand sachant celui qui peut lire les 6 mois à venir ».
Je m’adapte en permanence.
C’est une autre époque qui s’ouvre, où l’adaptabilité est le fait marquant.
Depuis le temps qu’on dit qu’il faut changer des choses, on y est. La vie d’après ne ressemblera pas à ce qu’on a connu.
Il y a une dynamique progressive qui est désormais engagée en quelque sorte. Ce qui est difficile à entrevoir en ce moment, c’est la situation économique à venir, Il n’y a ni certitude, ni garantie.
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels et professionnels ?
Toujours difficile de parler de soi en ces termes, je vais vous donner quelques mots clés qui me caractérisent, une capacité d’intuition devant la situation, une sensibilité qui ouvre la porte à une approche créative et conceptuelle qui se traduit à l’écrit comme à l’oral, ce qui me donne une facilité à communiquer. J'ai aussi une capacité d’empathie, dans tous les métiers que j'ai exercés jusqu’à présent, cela représente ma colonne vertébrale.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours qui a permis la création de 13HorSite ?
C’est au départ le choix de bosser dans la publicité. J’étais fasciné par ce métier de jongleur intellectuel. Je prenais cela pour un jeu. Mais pour bien jouer, on se rend vite compte, qu’il faut un énorme travail professionnel.
Après un second cycle en marketing Com’ à Sciences Com Nantes, Je suis entré en agence de pub à Nantes. Je n’ai pas voulu aller à Paris. Pour moi, la pub à Paris, c’était le Grall, un peu l’extrême, ce n’était pas ma quête.
D’abord chez LM Young & Rubicam puis AUGURAL, j’ai joué dans toutes « les cours » où j’ai pu découvrir des univers différents, le tourisme, l’agro-alimentaire, la distribution, etc., tout, sauf la grande distribution, par choix.
La primauté de la demande
C’est là que j’ai intégré la logique de la demande, car tout part de là. On peut avoir le meilleur produit du monde, si l’on n’est pas en phase avec la demande, il restera dans les cartons.
Cette question de la primauté de la compréhension de la demande, des enjeux, je la retrouve toujours.
Et ce qui est passionnant quand on s’intéresse à la demande, le public visé, c’est qu’elle évolue en permanence. Cela oblige d’être à l’écoute et de comprendre les aspirations de son époque. Je suis resté 5 ans en agence de pub, suffisamment pour mesurer tous les talents nécessaires, et pour comprendre que le mien était sans doute dans le développement, fonction que j’assurais en parallèle à la gestion de projets.
J’ai donc voulu aller vers autre chose pour ouvrir mes horizons. J’ai intégré une agence de concertation et de conseil auprès des collectivités publiques, Parmenion. J’ai été amené à concevoir et piloter de la communication de crise ou de la communication sensible : les enfouissements de déchets, les incinérateurs, etc.
Communication de crise, école de la rigueur
Cela a été une claque. Je suis entré dans une culture d’ingénierie. C’était passionnant et violent, j’étais plongé dans la rigueur, scientifique alors que je sortais de considérations parfois plus superficielles. Là, on n’interprète pas ! Il faut savoir traduire, c’est autre chose !
On me demandait de traduire la science en quelque chose d’abordable et d’acceptable par le public et les élus. J’ai touché du doigt ce que peut être le pouvoir et ce qu’il représente de responsabilité et de solitude. J’y suis resté 5 ans. Une école de rigueur, de raisonnement, d’engagement.
Le hasard a voulu qu’un de mes anciens clients de ma période publicitaire, COUGNAUD, cherche quelqu’un pour sa direction de la communication. Je connaissais très bien leurs produits puisque j’avais géré le budget pub de COUGNAUD pendant des années. C’est la fin de la première décade tournée vers le conseil, et j’aborde la deuxième dans l’entreprise ou je suis resté 11 ans. Chez COUGNAUD, je suis passé de la communication au développement commercial.
Aux manettes de la communication, j’ai accompagné plusieurs virages, le HQE, la RT 2012, l’évolution de la demande… Ma culture pub et technique m’a alors beaucoup aidé à faire un tri et à prioriser les messages.
Développer de nouveaux marchés
Et au moment où COUGNAUD a voulu expérimenter le logement comme levier de croissance complémentaire, j’ai quitté la com’ pour diriger et développer CITEDEN. On a fonctionné en mode projet et business-unit, avec une équipe exceptionnelle d’engagement et d’expertise, on voulait collectivement arriver à quelque chose de nouveau. Aujourd’hui, de cette expérience, c‘est ce partage et cette communion qui me manquent le plus.
Avec CITEDEN, nous sommes arrivés sans doute trop tôt, avec une expertise de l’industriel, mais aussi une connaissance encore insuffisante du marché de l’immobilier. Le marché tertiaire historique de COUGNAUD reprenant, le Groupe a choisi de se concentrer sur ce qu’il savait faire le mieux.
J’ai à ce moment-là fait l’inenvisageable, j’ai rappelé tous nos contacts qui croyaient en notre projet, notamment les bailleurs sociaux, pour fermer la page correctement.
Dans la vie professionnelle, il y a l’art et la manière, je tiens aux deux.
Pouvez-vous nous raconter comment et pourquoi avez-vous créée 13HorSite ?
Je crois que le moment est venu de répondre à la demande par une pluralité de solutions (de matières et de process) sans être limité par les capacités d’une offre spécifique. Pour pouvoir offrir au client cette pluralité de solutions, il me fallait être indépendant.
J’ai quitté COUGNAUD deux mois avant le COVID. Donc d’une certaine façon, j’ai tout de suite créé une boite dématérialisée !
Pour lancer le projet 13HorSite, j’ai été voir les professionnels (industriels) de la construction, pour comprendre les deux bouts de la chaîne, le marché, et le process.
A l’issue de cette Learning Expedition, j’ai proposé à mes contacts historiques, ceux qui avaient prêté attention à l’approche CITEDEN, de repartir à zéro c’est dire de la demande, et de ses attentes, et pas d’une offre technique.
Ma volonté avec 13HorSite, c’est de partir du « Pourquoi? », de trouver le « Quoi? » et d’organiser le "Comment?" qui y correspond.
Pouvez-vous présenter 13HorSite ?
L’offre de service de 13HorSite, c’est « d'aborder la construction sous l’angle bas carbone et réplicable ». Il s’agit de sortir du prototype permanent qui régit la construction, et de faire un choix assumé de la réplicabilité. Quand on a trouvé quelque chose qui fonctionne, je propose de ne pas le lâcher, et de valoriser l’efficience à tous les niveaux (conceptuel, technique, Lean management).
Quel est votre rôle, votre contribution avec 13HorSite ?
Je suis un éclaireur, un facilitateur et un agrégateur.
Je vais montrer tout de suite une direction, et je vais donner rapidement des possibilités de solutions. Ensuite, j’agrège des compétences nécessaires.
Il y a aussi une grande dimension pédagogique pour faire évoluer les cultures, les à priori, les organisations et certains modèles économiques.
Quelle est la ou les cible(s), les marchés, de votre structure ?
Soit j’interviens de manière stratégique en amont, aux côtés de l’industriel, pour chercher avec lui le marché, le produit, mais aussi l'approche, ou le discours différenciant.
Soit j’interviens de manière plus opérationnelle pour accompagner un programme dans une direction (par exemple construire en bois). Là, on va chercher avec le client à définir les process, les constructeurs, la gestion de marché,ou de projet. On va se donner des objectifs et des priorités.
Accompagner l'évolution de la demande
Ma cible, ce sont les bailleurs, les constructeurs, les promoteurs, et les industriels qui accompagnent l’évolution du marché vis-à-vis d’une nouvelle demande.
Quand je vois « hors site » dans un concours, j’essaie de comprendre le "Pourquoi?" dont je parlais tout à l’heure. Alors, j’emmène un process compatible, un concepteur en phase, et une vision partagée pour répondre à la demande.
Mon client est le maître d’ouvrages qui sera le commanditaire. Au lieu d’amener une expertise, j’amène un lien global et cohérent entre conception, l’ingénierie et la technique.
Je n’apporte pas d’expertise technique, chacun son métier, mais je connais la norme, le potentiel et les limites des process industriels. Je vois ce qui est compatible avec l’attente du client. Souvent, l’ingénierie nécessaire est agrégée au process constructif. Cela demande un travail de détails, d’anticipation et d’échanges qu’on ne connaît pas habituellement dans les lots séparés. Les responsabilités restent, mais elles sont autres. Pour les laisser s’exprimer, il faut donner de la latitude aux entreprises sur l’entièreté de leur expertise et laisser libre cours à leur potentiel.
Amener du lien plutôt qu'une expertise
Dans une phase concours, je me projette jusqu’à la commercialisation. Est-ce que cette technique est un atout ou un frein ? C’est un ancien reflexe marketing mais qui souligne ma double culture. Je pense déjà à ce que l’on va raconter au client final, je traduis déjà la technique en argumentaires.
Quelle est votre place sur votre marché ?
Parce que j’ai un parcours pluriel, j’ai le sentiment de créer une case qui n’existe pas encore. J’aide mes clients à sortir de la valeur, à avoir une vision, à cultiver de la cohérence.
13HorSite s’inscrit dans les traces de ce que Pascal Chazal a initié en développant le concept du hors-site. J’y apporte ma singularité.
Ouvrir les marchés à de nouvelles cultures constructives
De fait, ma valeur ajoutée, c’est une connaissance de la construction hors site et du monde industriel, combiné à une culture marketing qui traduit la technique en produit, le produit en offre, mais toujours en phase avec la demande !
Ma place sur le marché, c’est justement d’ouvrir des marchés à de nouvelles cultures constructives, à la rendre possible, avec le projet d’un promoteur ou d’un bailleur social, avec l’exigence économique, et à la rendre compatible aux défis environnementaux.
Pour bien comprendre, est ce que vous pourriez nous dire sur quels types d’ouvrages vous travaillez en ce moment?
Comme vous le verrez, mon offre de services est très diversifiée.
Une offre de services très diversifiée
En ce moment, je réponds à l’appel d’offre de Champ de manœuvre (lancé par Nantes Métropole Aménagement) pour identifier et valoriser des process hors site attendus.
J’ai également coconçu une résidence d’hébergement avec un architecte (en phase APS) selon une logique de DFMA (Design for Manufacturing & Assembly) pour permettre une industrialisation en 2D ou 3D bois au besoin.
Avec un bailleur social, j’ai travaillé en AMO pour identifier des prestataires industriels, organisé et rédigé des pièces de marchés en phase avec les objectifs spécifiques (selon un programme déplaçable)
Je peux évoquer aussi le benchmark de marchés possibles que je réalise pour un industriel, soulignant l’adéquation de son offre produit à ses marchés
Une vision globale
Pour le compte d’un groupement de PME, j’ai rédigé tout le dossier de candidature du groupement à l’appel d’offre MASH (rénovation Energiesprong) et actuellement on échange sur les suites à donner puisque le premier cap est franchi !
Je peux ajouter que dans ce cadre, le sujet de l’accompagnement des locataires (avec de la concertation, de la pédagogie, de l’information, de la formation, etc.) m’intéresse beaucoup, car là aussi j’ai une vision globale du sujet.
Votre structure intègre-t-elle une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
Je n’en suis pas là aujourd’hui mais je pense à ces collectivités que j’ai rencontrées et qui disposent d’un patrimoine pléthorique issu d’une société de consommation de la construction. On a construit sans limites et aujourd’hui on doit gérer un parc trop grand et obsolète, la double peine !
Sortir de la société de la consommation de la construction
Je constate que la filière sèche est plus facile à désassembler que les bâtiments faits en béton. Je garde cette envie de transformer les bâtiments en banques de matériaux reexploitables. C’est un avenir possible. C’est le sens de la conclusion de la RE 2020.
Pour le moment au s’occupe du E+C-, demain, que fera-t-on du bâti ? C’est aussi dans les attendus.
Pourriez-vous nous faire part d’engagements que vous avez pris personnellement, ou en tant que dirigeant d’entreprise, en faveur des questions climatiques ?
Je ne me considère pas comme un modèle ou investi, je suis de la génération passerelle entre le XX et le XXI siècle. Je suis né dans la société de consommation, je dois participer à en créer une autre, pas pour moi, mais pour mes enfants.
Je suis intervenu récemment à l’ESPI (Ecole Supérieure des Professions Immobilières). Au cours de cette intervention, j’ai voulu leur souligner ce qui relève de l’ancien monde, celui où on a construit sans limites pour la consommation, et le monde à venir où il faudra construire pour l’environnement, c’est à nous de l’initier, c’est à eux de le porter.
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ?
L’avenir du bâtiment ? Une banque d’organes réutilisable !
Préserver le foncier, notre principale richesse
L’investissement ? C’est le foncier qui demain aura plus de valeur que ce que l’on met dessus. Non seulement il faut préserver le foncier mais l’état du foncier c'est la planète, c’est ça le truc ! La population croît, et pas la terre. Il va donc falloir penser à préserver et partager un peu plus, et imaginer des solutions inventives pour loger tout le monde en prélevant moins .
Disons que nous sommes dans la REvolution du modèle, RE c’est REemploi, REcontruire, REnover. Il faut reconstruire ce qui peut l’être autant que de construire, et il faut construire en se donnant la possibilité de reconstruire.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? Est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? Ce qu’il vous apporte ? Ce que vous lui apportez ?
Je n’ai jamais été autre chose que nantais, même quand j’étais vendéen !
Je vis à Vertou. Mon horizon c’est la mer, je ne peux pas être à plus de 100km de l’océan. Nantes a la taille qu’il faut, avec la bonne proximité de l’océan.
Mon jardin c’est Pays de la Loire et Bretagne, et je reste à portée de l’énorme terrain d’action du Grand Paris.
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin (familier, ami, musicien, artiste, romancier, ville, lieu secret, etc.) ?
Je peux compter sur un noyau dur de proches, d’amis, qui font tout, sauf ce que je fais, qui m’écoutent (enfin je crois…) et m’ouvrent les chakras. On le fait de manière conviviale, de manière fraternelle, on le fait sans compromis, donc on le fait ensemble.
Se donner des défis
Je me lance parfois des défis. J’ai récemment construit une hélice d’avion en bois, une envie et un exutoire pendant une période de réflexion. C’est l’hélice « éclair » dessinée par Marcel Dassault en 1917. Une taille de 2 mètres 50 m que j’ai à peine réduite, constituée de 7 planches mixtes de noyer et d’une essence exotique, comme les ébénistes le faisaient à l’époque. Ce fut fabriquer un rêve… et un parterre entièrement couvert de copeaux !
Pouvez-vous évoquer pour nous votre plus bel accomplissement professionnel ?
C’est avoir compris ce que je suis, un pragmatique créatif.
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
Le pas-de-côté, je l’ai fais en quittant le monde du salariat. Je me suis mis en déséquilibre, j’espère ne pas tomber. Je suis convaincu que pour faire cette REvolution dans la construction, il faut tous les savoirs techniques, mais aussi tous les regards. Et surtout, ne plus simplement bâtir, mais construire l’avenir !
Vous êtes membre de Novabuild, quels bénéfices en retirez-vous ?
J’attends de NOVABUILD un brassage d’idées, des rencontres et un peu de provocation ! Votre ADN.
Construire l'avenir avec NOVABUILD
Pour le brassage d’idées et les rencontres, il y a à NOVABUILD les profils et les personnes que je souhaite rencontrer.
Et pour la provocation, je crois qu’elle est parfois nécessaire, car il faut provoquer le changement. Je souhaite être acteur et initiateur des changements à venir.
Une belle rencontre avec Novabuild…
Les deux personnes auxquelles je pense, c’est vous, Pierre-Yves LEGRAND, et votre collègue Juliette LAVISSE. Tous les deux, vous nous proposez bienveillance, partage et perspectives. J’aime bien, merci.
J’ai pu grâce au dernier NOVA’Meeting présenter 13HorSite et rencontrer aussi beaucoup d’initiateurs, d’initiatives, c’est passionnant.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, le 4 mars 2021.
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