
Rencontre avec Gilberto PELLEGRINO, architecte, dirigeant de PADW
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Adhérent
NOVABUILD
PADW scop d’architecture
Architecte
nantes (44001)
Témoignages

Bonjour Gilberto PELLEGRINO. Comment allez-vous après ces deux mois de confinement?
Personnellement, cela va bien. Pour l’agence, la situation nous a amené à prendre des décisions importantes.
Nous avons une particularité pour une agence nantaise, c’est d’avoir une antenne à Shanghai. J’ai passé beaucoup de temps à gérer l’évolution de cette agence depuis sa création. Mais nous ne pouvons plus aller en Chine depuis janvier, y développer des projets est très compliqué, ne serait-ce qu’en raison de la quatorzaine lors d’un déplacement. Nous avions 10 salariés, nous les avons tous licenciés début avril. Ce fut un choix difficile, cependant nous nous posions depuis un moment la question du poids carbone du suivi d’une agence aussi lointaine : la crise a donc accéléré un changement qui allait arriver.
Cela nous a amené à changer de stratégie, car ce qui nous intéresse c’est l’Asie. En Chine, cette première séquence est une aventure qui dure depuis 2015. Elle nous a permis de sceller des partenariats, notamment avec une importante agence de design à Shanghai. Aujourd’hui nous allons poursuivre cette aventure partenariale en Asie et nous consacrer à des projets à fortes ambitions environnementales. Nous ferons plus de choix, et moins de déplacements.
Pour notre agence nantaise, nous avons dû réorganiser les modes de faire. Le télétravail existait déjà, notamment pour la conduite des travaux, mais pas en architecture. Cela a été un peu la panique au début. Les architectes et les économistes travaillent ensemble sur des maquettes BIM, le serveur BIM de l’agence devait donc assurer l’interconnexion et la synergie des projets aux domiciles de chacun, avec tous les problèmes de réseaux qu’on imagine... Mais nous avons trouvé nos marques et aujourd’hui ça fonctionne bien.
Vous tirez des enseignements de ces deux mois de confinement ?
Les enseignements de ces deux mois, c’est avant tout que les gens ne travaillent pas moins en télétravail. On parle plus d’objectifs, que de temps passé. On se réserve des plages horaires pour des visio-conférences. L’échange et le dialogue sont préservés.
Certaines choses vont changer durablement. Nous voulions étendre nos bureaux, ce projet n’est plus à l’ordre du jour. On va changer de modèle. L’organisation du travail va évoluer, mais pas seulement. On essaie tous de réfléchir à l’après.
Novabuild : Pouvez-vous nous raconter comment s’est construit PADW ?
J’ai toujours voulu être architecte.
Mais en réalité, ma première formation, c’est la comédie et la mise en scène. A l’époque il y avait des comédiens du Théâtre du Soleil présents dans les banlieues comme Sarcelles où j’habitais. Adolescent, j’ai eu la chance de rencontrer l’un de ces comédiens qui m´a ouvert des horizons. J’ai suivi un chemin. J’avais un œil pour la direction d’acteurs et la mise en scène. C’est le spectacle qui a payé mes études d’architecte !
L’agence a été fondée en 1989, un peu par hasard. Etudiant, j’étais déjà passionné par l’engagement social de l’architecture, mon mémoire a porté sur les relations « espace et santé mentale ». Pourtant, en sortant de l’école, j’ai intégré un cabinet international. J’étais parti pour être chef de projet, dans des opérations à forte image. En fait, j’étais trop loin de mes objectifs personnels, j’ai donc voulu me recentrer en revenant à Nantes. J’ai alors cherché à intégrer une agence à Nantes, sans succès. J’ai donc commencé tout seul, avec des « petites affaires », et de fil en aiguille...
Aujourd’hui après 30 ans, l’équipe est constituée d’une trentaine de personnes
Pouvez-vous nous donner les 3 caractéristiques, les 3 points forts de PADW ?
1) Depuis sa création, notre agence travaille beaucoup sur les problèmes de santé. Nous cherchons à offrir des solutions à des personnes en dépendance, à répondre aux différents handicaps de la vie. L’agence s’implique sur tout l’univers médico-social. Nous avons une approche architecturale qui nous est propre, qui part de l'ergonomie. Dans les projets médico-sociaux, il y a peu de moyens, donc on les mets d’abord dans l’efficacité ergonomique/fonctionnelle. Cela nécessite une forme d'architecture assez humble et centrée sur l’usage.
2) La qualité d’usage est ainsi toujours au centre de nos projets et nous ne cessons de réinterroger les pratiques actuelles. Je pense au projet Like!Home sur le rond-point des Châtaigniers à Nantes, où par exemple nous avons beaucoup travaillé à la sécurité des personnes, des femmes, à la qualité d’ambiance des parkings, etc. Nous avions développé avec Marika Frénette (Wigwam) une concertation à partir de quelques questions simples, comme « Qu’est-ce qui vous ferait habiter ici ? ». Nous en avons tiré des paramètres de convergence afin que le projet soit centré sur les usages. On a raconté une histoire de vies. Au final, il n’y a pas d’ascenseur mais des monte-charges pour pouvoir emmener les vélos jusqu’à la porte d’entrée, de vastes espaces communs, une grande terrasse partagée en rooftop, des exemples parmi d’autres.
3) Enfin, un autre point important pour nous, cela semble une évidence mais il faut le redire, un projet architectural doit respirer de son contexte, il doit le révéler et s’y identifier. L’agence peut être perçue parfois comme générant de la « complexité », mais on est surtout intéressé par l’empreinte de l’ouvrage sur l’environnement, sans aucun dogmatisme architectural.
Et votre rôle dans cet ensemble ?
Je suis le garant des valeurs de l’entreprise.
Nous sommes dans un moment de mutations très fortes et l’agence doit rester fidèle à ses valeurs tout en embrassant les enjeux du siècle. J’aime souvent évoquer cette maxime qui peut paraitre simpliste, mais qui est pour autant complexe dans son applicatif « PADW est engagé pour un monde meilleur ». En ce sens l’arrivée de Bruno Violleau (ingénieur environnement) en tant que directeur général, est un signe fort de notre engagement.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre métier?
Depuis une dizaine d’années, je suis passé par beaucoup d’interrogations, et ce qui m’a motivé pour maintenir le projet, c’est de lui donner du sens.
Le résultat de cette réflexion, c’est « On continue et on accélère ». Notre projet à PADW est d’œuvrer pour le bien commun. L’architecture a une grande responsabilité, environnementale et sociale, nous voulons prendre pleinement notre part.
Le moment que nous vivons actuellement fait notamment raisonner deux questions : celle de l’environnement et celle des inégalités. L’architecte a un vrai rôle à jouer car le logement et l’urbanisme ont des conséquences très réelles sur l’équilibre de la société.
Le modèle de développement économique du logement en centralité métropolitaine laisse de côté toute une partie de la population. Je pense notamment aux classes moyennes qui ne sont pas éligibles aux logements sociaux et qui n’ont pas les moyens d’acheter à plus de 5 000 euros du m². Elles ne peuvent se retrouver qu’en périphérie. Cela génère un processus d’étalement urbain et d’imperméabilisation des sols aujourd’hui toujours en expansion. Sylvain Grissot l’explique très bien dans son livre sur l’urbanisme circulaire.
La question des inégalités est aussi celle de la mixité. Il va falloir construire pour tout le monde.
Vous disiez à l’instant que nous sommes dans un moment de mutations. Quelles évolutions vous voulez impulser dans PADW ?
Nous allons devoir changer nos process. Nous avons un regard très attentif sur l’industrialisation. Nous avons démarré par une prise de connaissance de systèmes différents. Nous allons lancer prochainement un projet avec un système industrialisé utilisant la filière bois nous permettant des coûts réduits de 30%.
Si l’industrialisation est prise en amont, c'est très intéressant. La 3D en continue depuis la conception jusqu’à l’exécution, c’est l’opportunité d’être plus frugal sur l’utilisation de la matière par exemple.
L’industrialisation n’est pas forcément au détriment de l’architecture. Plus il y a de contraintes, plus l’architecte a sa carte à jouer. La contrainte technique et financière peut permettre plusieurs chemins. L’architecte a un rôle majeur à jouer dans l’accompagnement du projet, car il est au centre du système.
Nous sommes à la première étape d’une révolution, pour arrêter de construire comme on le fait depuis 60 ans. Notre ouverture sur l’Asie nous permet des fenêtres sur ces questions d’évolution des process. Il y a des évolutions technologiques à nos portes, comme la montée en puissance de l’intelligence artificielle, mais aussi l’évolution majeure de la robotisation sur site, de l'industrialisation et de la préfabrication. On voit encore cela de loin, mais dans 10 ans ce sera là.
Les architectes doivent s’emparer des systèmes et des process très en amont, nous devons être des acteurs majeurs de la mutation technologique au service des citoyens.
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la R&D ?
Nous avons toujours quelques projets en R&D. Ce sont des projets réels avec lesquels nous engageons de la R&D et de l’innovation appliquée en lien avec le maître d’ouvrage. Nous avons voulu avancer par étapes successives sur une stratégie passive. Nous avons pris appui sur l’opération que nous avons réalisée à la Fleuriaye (à Carquefou, agglomération nantaise) qui était déjà une belle prouesse. Puis, nous avons analysé l’ensemble du processus de conception et de réalisation pour parvenir à des projets moins chers à réaliser et moins onéreux en coup de en maintenance.
L’étape suivante est de concevoir des logements passifs utilisant la ventilation naturelle pour le renouvellement d’air et généralisant l’utilisation de matériaux biosourcés. Nous voulons arriver à faire du passif avec le moins de technologie possible. Ces mises en œuvre nous conduisent à produire des ATEX nous permettant de développer des procédés et/ou équipements innovants.
PADW intègre-t-elle une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
C’est notre volonté.
Mais nous n’arrivons pas toujours à faire financer les ambitions climatiques aux des maîtres d’ouvrage. Nous avons gagné récemment un projet dans une grande métropole. Il était demandé en RT 2012, nous l’avons proposé en passif, en indiquant que la différence financière devait s’apprécier en coût global et l’écart budgétaire ramené entre 5 à 10% du coût immédiat.
Pour PADW, il n’y a pas de démarche environnementale sans parler de social. Tout est imbriqué. Cela ne m’intéresse pas de parler de chiffres sans parler de plaisir de vivre ensemble. Le développement durable doit être en écho avec l’intention sociale.
Novabuild : Vous êtes membre de Novabuild, quels bénéfices en retirez-vous ?
C’est un vrai centre de ressources. Je lis tout ce que vous m’envoyez, mais je n’ai pas toujours du temps pour y participer. Quand il y a des informations et des formations, plusieurs au sein de l’entreprise en profitent. On lit le bulletin qui est très riche, il nous arrive d’échanger dans l’agence sur les informations contenues dans ces bulletins.
Novabuild est devenu un élément dynamisant du territoire. L’animation de filière est la condition première pour avancer. Un projet environnemental n’est un exemple que s’il devient une exemplarité reproductive.
Propos recueillis le 12 mai 2020 par Pierre-Yves Legrand, directeur de NOVABUILD
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