
Réaliser l'impossible | Rencontre avec Samuel Durand, MECA
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Témoignages

Bonjour Samuel DURAND, comment allez-vous dans cette période de crise sanitaire, doublée d’incertitudes économiques, sans oublier la crise climatique qui s’accentue ?
A titre professionnel, je vais bien et la société va bien. Les éléments économiques ne sont pas tous très positifs dans le bâtiment, mais l’activité de l’industrie est quant à elle très dynamique.
A titre personnel, j’essaie de faire converger mes aspirations personnelles avec mon activité.
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels ou professionnels ?
Un côté pointu du point de vue technique, la persévérance, et, enfin, l’empathie et l’écoute.
Pouvez-vous nous raconter comment avez-vous créée MECA ?
Nous sommes avec Ralph GRUAND, deux associés à l’origine de MECA. À l’époque, nous travaillions tous les deux au CETIM, le centre technique des industries mécaniques. Dans notre position, nous avions jusque-là peu entendu parler de bâtiment. Nous nous sommes mis à notre compte fin 2006 en créant MECA, en ayant donc plutôt l’industrie comme secteur cible.
Et comme j’avais un bon ami architecte, Patrick MOREUIL de TETRARC, nous avons commencé à nous intéresser de près au bâtiment et à l’architecture, pour lesquels nous avions aussi des solutions.
Pouvez-vous présenter votre MECA ?
MECA est un Bureau d’Etudes Techniques (BET) qui a 30 salariés avec une grosse spécialité de calculs de structure. Une de nos forces est d’avoir dans l’équipe 95% d’ingénieurs dont 2/3 pratiquent du calcul, et 1/3 sont des concepteurs. C'est une proportion inverse par rapport à celle que l’on trouve habituellement dans les BET.
Notre spécialité, ce sont les ouvrages atypiques qui obligent à se plonger dans la mécanique et la technique.
Quel est votre rôle, votre contribution au sein de MECA ?
Comme nous avons créé la structure à deux, et que nous sommes les plus anciens, nous sommes d’abord des animateurs et des formateurs au service de l’équipe. Nous donnons de notre temps à nos collègues. Et dans le duo que nous formons avec Ralph, ma spécialité, si on peut parler comme cela, ce sont les devis commerciaux et de la R&D.
CSCOR, Centre Spirituel Culturel Orthodoxe Russe (Paris, 75), Maître d'Ouvrage : Fédération de Russie, Maîtrise d’oeuvre architecturale : Wilmotte & Associés Architectes, Maîtrise d’oeuvre de conception et d’exécution : Bouygues Bâtiment Ile-de-France, Conception et execution des coupoles : Méca & Multiplast
Quelles sont les cibles ou les marchés de MECA ? Quelle est sa place sur son marché ?
L’activité de MECA c’est 50% bâtiment et 50% d’industrie. L’industrie pour nous c’est la construction navale, l’aéronautique, le ferroviaire, et l’énergie.
Nos marchés dans le bâtiment ce sont les ouvrages légers sur deux niches, les matériaux composites (la résine, et la fibre) et la cinématique du bâtiment (les mouvements et la structure du bâtiment).
Et pour me faire comprendre, j’évoquerais quelques références comme les dômes en matériaux composites de l’église du quai Branly à Paris pour Jean-Michel WILMOTTE, les panneaux courbes de toitures en composites de la gare de Djeddah (Arabie Saoudite) pour Foster & Partners, ou bien la couverture mobile et rétractable du court Suzanne Lenglen de Roland Garros conçue par Dominique PERRAULT. Ce sont des projets hors du commun, une niche que peu de BET maîtrisent.
Nous avons de nombreux clients en local, avec lesquels nous travaillons depuis longtemps. C’est comme cela que nous avons participé à la conception des abris des quais de Nantes. Mais nous avons aussi une clientèle nationale avec Bouygues et Eiffage notamment, qui nous sous-traitent quelques-unes de leurs études pour des structures spéciales, le plus souvent hors DTU.
Gare de Jeddah (Saudi Arabia), Maître d'Ouvrage : Oger International, Saudi Oger (Saudi Arabia), Architecte : FOSTER + PARTNERS (London), DAR al Handasah (Beyruth), Conception des panneaux courbes de toiture : MECA
Du fait de notre technicité et de notre expertise, nous avons développé une spécialisation dans l’accompagnement des entreprises dans le montage de leurs dossiers d’ATEx à déposer auprès du CSTB. Ces entreprises du bâtiment sont parfois gênées par les cadres techniques imposées et la rigueur industrielle nécessaire pour élaborer son ATEx. Ayant par le passé travaillé dans un centre technique, le CETIM, nous parlons un langage proche de celui qui est attendu, ce qui facilite les échanges et permet de faire avancer favorablement les dossiers que nous portons.
Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ?
Nous connaissons très bien les normes de construction. Je suis membre du groupe de travail des Eurocodes sur les composites, et un collègue Alexis BLOCH est présent dans celui des structures gonflables. Aussi, nous connaissons bien, de l’intérieur, les documents techniques de référence que l’on applique dans le bâtiment.
Pascal MACQUET est quant à lui un expert reconnu en assemblages soudés complexes.
« Porte-vue », Château-Thébaud (44), Maître d'Ouvrage : Clisson Sèvre et Maine Agglo, Architecte : Emmanuel Ritz, Bureau d’études : Méca et Arias Montagne.
Quelles sont les 2-3 réalisations dont vous êtes le plus fier ces 5 dernières années ?
Au niveau local, j’aimerais parler du belvédère de Château-Thébaud (44). C’est une structure métallique en porte à faux de 23 mètres située à 45 mètres au-dessus de la Maine. Ce n’est pas un ouvrage extraordinaire, mais j’ai été enchanté de la collaboration avec l’architecte Emmanuel RITZ. Nous avons ensemble poussé assez loin la qualité. Et chaque fois que j’y vais, j’ai plaisir à voir les touristes s’approprier l’ouvrage. Cela me tient à cœur.
Et au niveau national, mon coup de cœur va pour les voiles de la Cité Musicale de l’île Seguin imaginées par Shigeru BAN et Jean de GASTINEES. Elles sont composées de 800 m2 de panneaux photovoltaïques montés sur rail pour suivre l’évolution du soleil. Ce projet a été impliquant pour nous. Il nous a fondé, et nous a permis d’être reconnus à l’échelle national. Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes pour que la fiabilité soit au rendez-vous.
La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt (92), Maîtrise d’Ouvrage : Département des Hauts-de- Seine, Architectes : Shigeru Ban et Jean de Gastines, maîtrise d’œuvre charpente et mécanisme : RFR SAS, puis T/E/S/S, Conception des mécanismes de la voile : MECA
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la R&D ?
Venant de l’industrie où nous passions 10 à 15% de notre temps à faire de la R&D, nous avons conservé ce rythme au sein de MECA. Dis autrement, 10 à 15% de notre activité est non marchande, non commercialisée. Ce que nous faisons consiste à préparer de la méthode et des matériaux qui seront proposés dans des projets à venir.
Dans le bâtiment, la R&D est moins encadrée que dans l’industrie qui elle, bénéficie de subventions spécifiques et des projets phares nationaux comme pour les matériaux composites par exemple. Ce qui fait que notre R&D est le plus souvent dédiée à l’industrie. Nous faisons des ponts avec le bâtiment dans un 2e temps.
Par exemple, je pense à un projet que nous avons déployé il y a 10 ans avec les chantiers de l’Atlantique, qui consistait à optimiser la structure des navires et des cabines à partir des structures composites de grande dimension. Une fois les études réalisées, nous avons proposé une déclinaison qui a été réalisée pour la toiture de la gare de Djeddah.
Esquisses par MECA des panneaux courbes de toiture de la Gare de Jeddah (Saudi Arabia), Architecte : FOSTER + PARTNERS (London), DAR al Handasah (Beyruth)
MECA intègre-t-il une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
Oui, mais pas suffisamment. Comme nous sommes sous-traitants, nous sommes liés à ce que nous demandent nos clients.
Nous réfléchissons actuellement à l’organisation, et à l’optimisation systématique du bâtiment en s’inspirant de l’industrie. Nous sommes persuadés que cette méthode est applicable au bâtiment, dans une démarche de sobriété. Cela amènera à moins utiliser de matières pour les mêmes propriétés, par une bonne connaissance de chaque matériau.
Nous travaillons à mettre en place une méthode pour choisir le bon matériau au bon endroit.
Mettre le bon matériau au bon endroit peut résulter d’une étude rigoureuse et pas seulement d’un leitmotiv. Il s’agit de retenir une matière adaptée en fonction de certains critères. Actuellement nos clients n’ont qu’un seul critère en tête, le coût. Mais dans une démarche vertueuse, on peut rajouter des critères de masse, de poids, de conductivité, le poids carbone, etc. Nous cherchons à faire quelque chose qui ne soit pas une usine à gaz, à créer un outil simple et accessible.
Pourriez-vous nous faire part d’engagements que vous avez pris personnellement, ou en tant que dirigeant d’entreprise, en faveur des questions climatiques ?
A titre professionnel, MECA a toujours été dans le centre-ville de Nantes. On nous a proposé plusieurs fois de nous installer en périphérie. On a fait le choix d’y rester pour limiter l’impact de transport. Personne ne vient en voiture parmi les collaborateurs.
A titre personnel, J’ai découvert récemment le terme d’éco anxiété, j’y ai réfléchi avec ma femme, et je trouve que ce terme est adapté. Je vous fais une révélation, je suis éco-anxieux. Si on veut passer de l’état d’anxiété, à autre chose, il faut qu’on se prenne en main, et qu’on trouve des voies pour agir.
La phase de déni est dernière nous. On hésite moins à parler de ce que l’on ressent devant le dérèglement climatique.
A titre personnel, nous avons commencé à changer certaines de nos pratiques. Par exemple, nous avons décidé de ne plus faire nos courses au supermarché, et nous allons 2-3 fois par semaine au marché du quartier, et de fait, nous avons réduit les emballages avec une nourriture qui a augmenté en qualité.
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ? Quelles tendances voyez-vous émerger ?
Il y a quelques années, j’étais partisan de la ville comme solution à l’étalement et à l’éparpillement. Avec le confinement, je trouve que cela change la donne. On se rend compte que la grande ville est moins désirable, cela rebat les cartes. La gestion des déchets et des flux, qui semblait plus rationnelle en ville, on se demande aujourd’hui si c’est si vrai que ça. La ville semble plus énergivore. Les villes de taille moyenne semblent rassembler plus de qualités.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? Est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? Ce qu’il vous apporte ? Ce que vous lui apportez ?
Notre territoire, c’est Nantes, clairement. Nous rayonnons sur la Bretagne et le Pays de la Loire. Si on regarde les entreprises du bâtiment de ce territoire, il y a des pépites comme CMR (Constructions Métallique Richard) à La Chapelle Heulin (44), GENDRE à Nantes (44), MTechbuild à Luçon (85), ou les ateliers David à Guérande (44). Nous leur apportons notre technicité, et nous nous appuyons sur ce savoir-faire pour continuer d’avancer.
Ce que je trouve génial dans le bâtiment, ce sont les entreprises qui reçoivent de la maîtrise d’œuvre des idées qui ne sont pas toujours abouties, et qui arrivent à maîtriser la pose, en entrant dans le budget, avec beaucoup d’ingéniosité.
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin ?
La famille, bien sûr. Il y a quelque chose d’autre qui me ressource en plus de ma famille, c’est la musique. Les semaines étant très dense, je pratique le rock avec des amis. On répète au studio Trempolino de Nantes. C’est ma bouffée d’air frais de la semaine.
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
Ouh la, j’ai l’impression d’en faire tous les jours !
Mon pas-de-côté, ce serait d’arriver à structurer une offre d’études éco-responsables. Ce serait un vrai pas de côté. On y travaille.
Vous êtes membre de Novabuild, quels bénéfices en attendez-vous ?
J’en attends des échanges, des échanges techniques et de points de vue. J’en attends aussi du réseau et de l’information sur les évolutions de la technologie dans le bâtiment.
Pouvez-vous raconter une belle rencontre que vous avez faite avec NOVABUILD ?
Nous avons une connaissance commune, Jean-Michel MEZANGE, qui est très impliqué dans la valorisation des biosourcés. C’est un ami. Nous ne nous ressemblons pas. J’admire son expérience. Je suis bluffée, il essaie, tombe parfois et se relève toujours. C’est un précurseur, il ouvre des portes, il est utile aux autres. Nous avions essayé il y a quelques années de proposer un produit paille, mais nous avions un peu d’avance.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, directeur de NOVABUILD, le 10 février 2022
(1) Commentaires
Hubert Mallard
15/09/2022 - 19:35
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