
La promotion immobilière sociale et solidaire | Rencontre avec Eric GERARD, ICEO
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Adhérent
NOVABUILD
ICEO
Promoteur, constructeur
NANTES (44000)
Témoignages

Bonjour Eric Gérard, comment allez-vous dans cette période un peu particulière ?
Cela va plutôt bien. Nous avons gagné une belle opération hier. C’est un concours sur lequel nous travaillions depuis un an et c'est très satisfaisant qu'in fine, nous ayons pu l’emporter !
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels et professionnels ?
Je dirais en premier la capacité d’avoir une vision globale des choses et à ressentir les enjeux. J'ai quelques compétences technico économiques utiles pour diriger une entreprise. Et puis, on peut parler d'une empathie, en tous cas, d'une volonté d’entendre et de comprendre l’autre.
Pouvez-vous nous raconter comment et pourquoi vous avez créé ICEO ?
Au départ, j’ai fait une école de commerce qui m’a profondément déplue. Du coup, en sortant, j’ai fait plein de choses différentes comme travailler dans le secteur du cheval, ou m’engager au sein d'Habitat et Humanisme.
Puis on m’a proposé la direction de GHT, coopérative HLM qui était une filiale du Crédit Mutuel. Le Crédit Mutuel avait souhaité relancer l’activité d’accession sociale en me confiant cette direction. La structure était quasiment à l’arrêt. Au départ, je me suis retrouvé directeur de moi-même… J’ai fait monter la structure à partir de 20 logements par an pour atteindre 250 par an. J’ai adoré ce que j’ai fait, cela m'a permis de confronter ma vision de la ville et la réalité.
A la suite d’une réorganisation, je suis parti et j'ai créé ICEO sur une idée : on a besoin de construire une ville qui offre des solutions à tous ses habitants, qui soit inclusive et qui réduise son impact environnemental. J'avais acquis au fil des années une conviction, c'est qu’il fallait associer les habitants d’une façon ou d'une autre. Je vérifie chaque jour, que pour faire autrement, et trouver des projets de vie porteurs de sens et d’envie, il faut réfléchir différemment, et cela ne peut se faire que tous ensemble.
Pouvez-vous présenter le projet ICEO ?
ICEO repose sur une idée de la ville, que l’on essaie de faire porteuse de sens et d’un récit positif. Nous faisons de la promotion immobilière en tenant compte de 3 fondamentaux :
1/. ICEO, ce sont des projets qui renforcent la capacité à accueillir toute la population. L’accessibilité économique est au cœur de notre projet. Nous nous donnons l'objectif de construire à un prix qui offre à des gens des solutions pour acquérir, alors qu'ils ne le pourraient pas au prix du marché actuel. Il faut alors porter une attention constante aux coûts de construction, dépasser les habitudes de fonctionnement et trouver des solutions qui soient économes. Une ville inclusive, c'est aussi travailler sur la mixité. Mais la mixité n'est intéressante que quand elle permet aux gens de se rencontrer et pas de se confronter. Dans le participatif, on se rencontre, on dépasse ses préjugés, cela peut donner des relations de voisinage un peu différente, et c'est ce que nous recherchons.
2/. A ICEO, l’empreinte environnementale est réfléchie du début à la fin. D’abord, on regarde où l’on construit. Il ne faut plus consommer des terres agricoles, donc on va construire là où c'est déjà construit. Quand on fait des ACV, on tape là où cela émet le plus, pour avoir un impact le plus élevé possible, on a cette démarche sur tous les projets. On va aussi se pencher sur la question des déplacements, et donc on va implanter notre immeuble là où cela fait sens en termes de déplacement. Pour favoriser le recours à une mobilité douce, nous surdimensionnons tous les parkings à vélos et nous posons la question des usages. Nous essayons de mettre à disposition des vélos cargos dans les projets, mais aussi, nous travaillons sur la peur, la peur du vol, de la réparation, etc. Nous organisons des circuits pour montrer aux futurs habitants que cela peut se faire et que ce n’est pas si compliqué.
3/. Avec ICEO, nous portons aussi une réflexion sur la densification. Il va falloir accepter de se confronter à cette question, à partir du moment où on l’on doit être plus nombreux sur un territoire qu’on décide d'arrêter d’étaler. Mais densifier dans des « cages à lapins », personne n’en veut. Il faut conserver les liens humains, et faire en sorte que la densité permettre de rencontrer des gens, et même, si on ne le veut pas, et quand on ne le veut pas, de ne rencontrer personne. Il nous faut trouver des systèmes qui rendent la densité vivable.
Pour réaliser nos lieux de vie, nous travaillons avec les personnes concernées, et en premier lieu les futurs occupants. Nous essayons d''installer une conscience qu’on habite ensemble dans un lieu dont on a défini les règles ensemble. Nous essayons de rendre les gens acteurs de leur manière d'habiter.
Un collectif n’est pas un empilement de logements individuels, c’est un lieu de vie où chacun a une responsabilité commune et individuelle.
Et au-delà de ce projet, pouvez-vous nous présenter ICEO ?
ICEO est une entreprise composée de 5 salariés qui a été créée en 2017.
Nous livrons 25 logements cette année 2021, et nous commençons 150 logements qui seront livrés les années suivantes. Comme vous le voyez, nous sommes dans une période de croissance assez forte.
Nous agissons sur Nantes, Angers, bientôt Rennes, et pourquoi pas Paris car l’impact carbone du TGV est raisonnable.
Quel est votre rôle, votre contribution au sein d'ICEO ?
J’aurais tendance à dire que je suis là pour « donner le souffle » et montrer l’horizon.
Quelles sont les marchés d'ICEO ?
Nous sommes entrés dans un schéma d’économie sociale et solidaire. Il semble que nous soyons le seul promoteur en France dans cette situation. De ce fait, nous nous engageons à apporter des solutions de logement aux classes modestes et intermédiaires, sans s’interdire, pour équilibrer les budgets, d’avoir une part minoritaire de produits visant des personnes hors plafond de ressources. Pour cette classification, nous utilisons les conditions de ressource des plafonds HLM.
Qu'est-ce que cela change d’être un promoteur affilié à la CRESS ?
Pour nous, pas grand-chose. Nous étions déjà dans une démarche de mixité sociale. En étant à la CRESS, la moitié de nos résultats ne sont pas distribuables aux actionnaires, et doivent rester en réserve, nous mettons en place un comité consultatif qui a un droit de regard sur le respect de l’objet social, qui lui, doit être au bénéfice des personnes en conditions particulières.
Quelles sont les 2-3 réalisations dont vous êtes le plus fier ?
Le temps de l’immobilier est un temps long.
Nous existons depuis 4 ans, et nous avons un programme livré et qui est très performant.
Nous livrerons en avril Rezé Jaguère (au sud de Nantes), un programme participatif de maisons individuelles, qui est à mon sens exceptionnel à l’échelle national. Nous atteignons de belles performance environnementale (Niveau 3 en bio sourcé et E2C1 en maison individuelle) pour un prix de 2500 euros du m2, quand le prix moyen est de 4000 euros sur la commune.
Nous avons inventé plein de choses avec les habitants. C’est la première fois qu’il y a du parquet de réemploi dans de l’accession à la propriété en neuf sur l'agglomération, ce qui n'a pas été sans difficultés, notamment sur le volet assurantiel. Nous avons introduit des récupérateurs de calories sur les douches, des systèmes de récupérateurs d’eau de pluie qui alimentent les toilettes, le chauffage est assuré par un poêle à pellets, d’anciens containers ont été transformés et aménagés en locaux vélos, etc.
Le groupe des habitants qui nous a accompagné tout au long du projet, ne préexistait pas, et il est resté dans l’ensemble jusqu’au bout. 2/3 des personnes qui étaient présentes à la réunion publique initiale sont encore là à la fin. Le groupe d’habitants est très riche de diversité : les âges vont de 6 mois à 67 ans, on compte 9 familles, un couple, 20 enfants, 5 célibataires, 43 futurs habitants, tous chaleureux et investis !
Tout a été fait en participatif, y compris le choix des architectes. Cela a permis de « pousser les curseurs », par exemple, les habitants ont fait le choix de finir eux-mêmes les peintures pour consacrer plus d’argent à la qualité de l’isolation (projet Bbio -30).
Autre exemple, à la suite d’un départ, les habitants ont souhaité réserver un logement à des personnes en situation de handicap, en lien avec l’ADAPEI, CDC Habitat et l’ESAT du Landais, et c’est le collectif qui a porté ce projet. Tous se sentent grandis par l'expérience.
Il n'y a pas de projets ICEO sans le volet participatif ?
Effectivement, le participatif est un moyen essentiel de transformation.
Quand on a démarré le projet de Rezé, les gens ne sont pas venus pour le participatif, ni pour le volet environnemental. Ils n’étaient pas militants. Leur perception de l'environnement était plus ou moins précise. Et on le voit, ils ont fait des choix qui vont très loin. Ils ont aujourd’hui une conscience sociétale et environnementale qui est étonnante.
La soixantaine de rencontres que nous avons eues pour élaborer le projet nous a tous transformé, mais a aussi permis de transformer le projet. C'est ce qui me permet de dire que le participatif est un formidable outil de transformation.
Accordez-vous une place à l’innovation et à la R&D chez ICEO ?
Oui, l'innovation à sa place chez ICEO, mais sur des formats atypiques. Nous sommes un peu des Géo Trouvetout.
Comme je l'indiquais à l'instant, nous avons travaillé sur des sanitaires qui ne se raccordaient pas au réseau, avec un système de récupération d’eau de pluie extrêmement économique. On a cherché, tâtonné, et on tente un dispositif. J’imagine que d’autres ont déjà expérimenté des systèmes de ce type ailleurs, mais nous, on l’a inventé, alors qu’il n’y avait rien dans la littérature technique là-dessus.
Nous avons fait plein de choses que nous n'avions jamais faites auparavant. On peut les faire parce qu’on a avec nous les habitants qui sont parties prenantes et qui sont moteur car ce sont eux qui ont fait les choix en connaissance des risques éventuels.
Utiliser du réemploi aujourd'hui, cela relève plus de l'innovation que de la pratique commune. Il a fallu beaucoup d'obstination pour convaincre l'assureur de nous laisser poser du parquet de réemploi massif en chêne. Et s'il n'y avait eu que cela, au moment de la livraison, nous avons eu quelques surprises. Par exemple le parquet avait une usure différenciée et comportait des traces qui se sont cristallisée et qui avaient besoin d’être décapées. De plus, là où nous attendions du contre collé, nous avons reçu du massif. C'est mieux, mais cela ne correspondait pas aux réservations qui avaient été faites. Il a fallu tout réinventer sur le chantier, et les habitants nous ont suivi.
Je crois que sur chaque produit, quand on fait du réemploi, on a des surprises. On devra être agiles et déterminés pour mener à bien ce type de projets. Le réemploi nous confronte à des problématiques inattendues. Il faut s’entraîner à cela, cultiver son obstination, et une fois qu’on a levé tous les obstacles et appris de ses surprises, on sort plus forts et plus efficaces pour la prochaine fois. L’effet d’expérience et d’apprentissage est essentiel dans le réemploi.
Comment ICEO intègre-t-elle une démarche d’adaptation aux dérèglements climatiques ?
Il y a une première question qui est celle du confort d’été sur lequel on travaille depuis plusieurs années. Par exemple, cela fait longtemps qu’on met des isolants avec déphasage en toiture.
Il y a aussi des sujets croisés avec la question de la baisse de la biodiversité et la question des îlots de chaleur. J’ai beaucoup échangé avec des paysagistes sur l’eau et la biodiversité. La ville peut être un refuge de la biodiversité par la faible utilisation de produits phytosanitaire. La question est de créer une canopée végétale, refuge de fraîcheur, associant des essences favorables aux pollinisations et une microfaune au sol. On le voit, toutes ces questions sont interdépendantes.
L’empreinte carbone d’ICEO est-elle connue ?
Non, mais les 5 salariés se déplacent à vélo. Nos bureaux sont chauffés par un poêle à pellets.
Pourriez-vous nous faire part d’engagements que vous avez pris personnellement, ou en tant que dirigeant d’entreprise, en faveur des questions climatiques ?
En ville, je ne me déplace qu’en vélo. J’habite en appartement en centre-ville. J’ai été un grand voyageur, et ne plus jamais prendre l’avion, cela reste quelque chose de compliqué pour moi. Je ne suis pas végétarien mais je mange moins de viande qu’avant. La transformation se vit aussi individuellement !
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ? les tendances émergentes qui vont se généraliser, les pratiques ou habitudes qui vont se transformer ?
Je pense que si l'on raisonne dans une perspective de 20 ans, on n’a pas trop le choix. Il faudra trouver des solutions de réduction d’empreinte environnementale et de densification. Plus on réagira tard, plus on le paiera cher. J’essaie de croire à un récit positif, mais je ne sais pas si c’est celui-là qui se réalisera.
La question de la contrainte environnementale pourrait se saisir sous un angle optimiste. Elle pourrait être le support d’un rapprochement entre les gens dans la ville de courte distance, dans la densification souhaitée. Les contraintes vont nous amener à modifier nos comportements. Les moments de transformation peuvent être des moments positifs. La ville dans 20 ans peut être apaisée, où il fera plus chaud certes, mais sans automobiles, avec des relations humaines plus denses. On peut rêver, un peu.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? Ce qu’il vous apporte ? Ce que vous lui apportez ?
Je suis très nantais, je suis né à Nantes.
Je suis attaché à Nantes, pas avec un drapeau, mais avec des racines. J’y ai une histoire. J’y ai construit des relations amicales et professionnelles, je sais pouvoir compter sur des compétences, des personnes avec qui je partage des envies et des enjeux. Mais je me rends compte que l’on peut retrouver ces liens dans d’autres villes, comme je le vis à Angers en ce moment.
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin ?
Je vais dire des choses peut être banales. Je vais puiser mon énergie auprès de ma chère et tendre, de ma famille, et de mon équipe. J’ai une équipe d’enfer. Ils sont super. Ils sont géniaux.
Je suis amateur de randonnées à cheval. Il y a aussi la lecture, Spinoza, la philosophie de la joie. Il y a une façon de regarder le monde, avec joie.
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
Mon pas-de-côté ce serait de tout quitter et d'habiter ailleurs, dans une autre culture, me fondre dans une culture différente. Je ferai cela, peut-être, le jour où je prendrai ma retraite.
Vous êtes membre de Novabuild, quels bénéfices en attendez-vous ?
Une effervescence, peut-être.
Une communauté de pensée et de réflexion qui puisse faire progresser. La capacité de creuser des sujets qu’on a du mal à creuser seuls.
ICEO a commencé à vous solliciter pour savoir comment se faire financer nos expérimentations. On démarre avec vous des expérimentations sur le terre-chanvre.
On pourrait y aussi vous interroger sur l’intensité d’utilisation du bâtiment, comment mutualiser des usages. Il y a des choses qui changent vite, la barrière domicile-travail. On a besoin d’études pour aboutir au projet le plus efficient, avec une étude qui viendrait crédibiliser le projet.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, le 25 novembre 2021
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