
La peinture en circulaire | Rencontre avec Maïlys GRAU, CIRCOULEUR
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Témoignages

Cougnaud Construction, adhérent de NOVABUILD, a lancé en 2020 le concours d’open innovation #ACCELERONS, ouvert aux start-ups, aux entreprises innovantes et aux étudiants (en architecture, design, ingénierie). Ils étaient 91 candidats à présenter un projet pour concilier la relance économique et la transition écologique de la construction. En juillet 2020, le Jury a sélectionné 9 finalistes. Début Octobre, au cours d'un Boot Camp, les 9 finalistes ont eu l'occasion de présenter leurs projets devant le Jury. Cette épreuve finale a désigné CIRCOULEUR comme Grand Prix du Jury (découvrir le palmarès complet du concours ACCELERONS).
NOVABUILD est particulièrement fier d'ouvrir ses colonnes à Maïlys GRAU, Présidente et fondatrice de CIRCOULEUR, l'occasion d'en savoir un peu plus sur la filière de recyclage des peintures en France.
Bonjour Maïlys GRAU, comment allez-vous dans cette période de crise sanitaire, doublée d’un début de crise économique, sans oublier la crise climatique qui s’accentue ?
Les temps ne sont pas simples, effectivement. On s’accroche malgré tout.
Il y a un aspect de la crise qui est encore plus visible chez nous que la question sanitaire, c’est le chamboulement personnel, avec le fait de ne pas pouvoir sortir, d’être tous en télétravail, de ne pas pouvoir se voir. Pour une entreprise en phase de démarrage, c’est très dur.
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels et professionnels ?
Je m’appelle Maïlys Grau. J’ai 37 ans, je suis une jeune maman.
J’ai un profil technique à la base, je suis ingénieure et docteure.
Quand je me suis lancée professionnellement, c’était dans les cellules photovoltaïques. Techniquement, il n’y a aucun rapport avec mon activité actuelle de recyclage de peintures, mais j’y vois une continuité, avec l’impact environnemental.
Au départ, je ne m’imaginais pas comme entrepreneure. Je m’imaginais ingénieure en entreprise, et je souhaitais que mon travail serve à quelque chose de positif.
Quand je suis entrée dans le photovoltaïque ce n’était pas par hasard, c’était volontaire.
Vous avez peut-être oublié la question sur les 3 points forts ?
En y réfléchissant, je crois que je vous ai donné mes points forts. Le premier, c’est le fait d’être une scientifique à la base, et puis, ce qui m’importe, c’est l’impact positif de ce que je fais, et le 3e point fort, c’est d’être une maman avec un bébé qui est encore plus jeune que mon entreprise. Pendant une époque mon entreprise était mon bébé, depuis j’ai eu un vrai bébé….
Pouvez-vous nous raconter comment vous avez créé CIRCOULEUR ?
Je me trouvais à une époque en réflexion sur ce que je voulais faire. Je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs, j’ai peu de modèle de femme entrepreneure, et je ne me projetais donc pas inconsciemment dans ce profil.
Après mon expérience dans le photovoltaïque, j’avais l’impression de ne pas correspondre aux cases du marché de l’emploi local.
Peu à peu, je me suis rendu compte que si je voulais faire quelque chose qui corresponde à tous les critères, il fallait que je crée mon activité. C’est comme cela que j’ai posé le projet CIRCOULEUR : avec une volonté d’agir sur l’impact, et le souhait d’utiliser mes atouts de scientifique.
Et puis, il y a eu le déclic. J’étais très bricoleuse. Et c’est comme cela que je suis tombée sur une information sur les peintures qui n’étaient pas recyclées en France. Cela a été un choc, car j’imaginais bien que la peinture à l’eau ne pouvait pas du tout faire un bon combustible. Je me suis renseignée sur le fait que des filières de recyclage existaient ailleurs dans le monde.
J’avais trouvé mon sujet !
Je voulais que cela ait de l’impact, et que cela soit concret, qu’on puisse voir l’impact directement, car sur les questions environnementales, je me méfie un peu du conceptuel. Concrètement, un kg de peinture recyclée, c’est 6kg de CO2 en moins dans l’atmosphère.
Pouvez-vous présenter CIRCOULEUR ?
CIRCOULEUR ce sont aujourd’hui 11 personnes. Nous fabriquons des peintures recyclées en 2 gammes, une gamme pour les professionnels avec des ventes en direct et une gamme pour les particuliers distribuée dans les magasins de décoration et de bricolage.
Nos valeurs c’est d’être à la fois dans une démarche d’économie circulaire et dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Nous sommes attractifs pour des gens qui portent ces valeurs.
L’entreprise est bicéphale, elle est dirigée à deux avec Marianne RITTAUD qui pilote notamment le volet commercial.
Justement, quel est votre rôle, votre contribution au sein de CIRCOULEUR ?
Je suis en charge de la direction de l’entreprise et des aspects techniques.
Dit autrement, je suis Shiva avec des mains un peu partout qui font chacunes quelque chose de différent !
Quelle est la ou les cible(s), les marchés, de CIRCOULEUR ? Qu’ont-ils en commun ? Quelle est votre place sur votre marché ?
Nous abordons le marché professionnel de façon particulière. Généralement, ceux qui achètent des peintures sont des artisans, des entreprises de peinture, d’agencement intérieur, mais, aujourd’hui, ce sont rarement ces entreprises qui sont intéressés par nos peintures. Ceux qui sont intéressés sont les donneurs d’ordre, les maîtres d’ouvrage ou des prescripteurs comme les architectes.
Ils sont intéressés par notre bilan carbone. Nous avons fait notre propre FDES qui révèle que la peinture CIRCOULEUR a 12 fois moins d’impact carbone que les peintures classiques.
Le 2e avantage c’est la qualité de l’air intérieur. Nos peintures sont parmi les plus faibles en émission de COV du marché. Nous avons fait des études avec le laboratoire NOBATEK. Le résultat est que les seuls produits qui ont des émissions aussi basses, ce sont les peintures dépolluantes.
Cela vient du fait que nous utilisons des pots qui ont déjà été ouverts, ainsi, les matières volatiles se sont déjà dispersées.
Pour ces donneurs d’ordre et prescripteurs, le gros intérêt, c’est d’avoir ces avantages sans se compliquer la vie. Ils ont juste besoin de préconiser une peinture recyclée. Comme CIRCOULEUR est de bonne qualité, elle remplace très facilement une autre peinture de qualité.
Cela leur permet de gagner des points pour E+C- ou pour la future RE 2020.
En ce qui concerne le marché des particuliers, nous sommes référencés dans les enseignes 4 Murs, Brico-Leclerc, Les Briconautes, etc. Le grand public est lui aussi de plus en plus à la recherche de produits et de matériaux écologiques et plus sains pour leur intérieur. CIRCOULEUR répond à ces attentes, avec une peinture haut de gamme, éco-conçue, saine, et enfin accessible d’un point de vue tarifaire. Nous avons également travaillé sur la mise en avant en magasin et sur notre packaging, pour véhiculer nos valeurs, notre engagement, et, surtout, expliquer clairement au consommateur ce qu’est une peinture recyclée
Quel est votre territoire de commercialisation ? Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ?
Sur la peinture recyclée, nous sommes les seuls en France.
Les filières sont matures en Amérique du Nord. Nous avons quelques différences avec eux, mais le principe de base est le même, nous reprenons les restes de peinture pour en refaire d’autres, avec un nouveau conditionnement.
Nous sommes implantés à Bordeaux, et depuis Bordeaux notre projet est de recycler les déchets de peinture de toute la France, et de vendre des peintures recyclées dans toute la France. Notre marché est français, clairement.
Pouvez-vous évoquer 2-3 réalisations dont vous êtes particulièrement fière ?
Nous avons pu accompagner des projets très diversifiés.
Nous travaillons par exemple avec le groupe Bouygues, qui est très engagé dans une démarche environnementale, et nous avons remporté un marché public avec Aquitanis, bailleur social à Bordeaux, qui valorise également l’impact social.
Nous avons également été choisi pour des rénovations d’école, et notamment une école Montessori à Bordeaux Lac : c’est un projet emblématique pour nous, car c’est un excellent moyen de sensibiliser les enfants au fait qu’il est possible d’intégrer une dimension environnementale dans tous les projets que l’on mène.
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la R&D ? (effectif dédié à la R&D, brevets, ressources matérielles, philosophie, etc.) ?
Notre produit est innovant, mais nous ne nous contentons pas de cette avance. On continue à innover, en fait, on n’a jamais arrêté. C’est une des spécificités de l’entreprise que d’être dirigée par une scientifique. J’ai été ingénieure R&D, c’est mon background. Nous cherchons en permanence à améliorer la qualité de notre peinture.
Nous sommes une Startup qui doit croître beaucoup et vite. Quand on est sur du numérique et qu’on veut faire « fois 10 », il suffit de payer les serveurs pour avoir une bande plus large et on peut faire croître son activité, je simplifie peut-être un peu trop le processus de croissance des startups classiques, mais disons que je vois cela avec le regard particulier, celui d’une entreprise de production. Pour une entreprise comme la nôtre, pour faire « fois 10 », il faut 10 fois plus de matière, avec la question de la logistique, de la supply-chain qui doit suivre, etc. Notre croissance fait bouger beaucoup plus de paramètres que dans une startup habituelle. C’est cette complexité qu’il nous faut gérer. C’est passionnant !
Votre structure intègre-t-elle une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
L’atténuation est clairement dans notre projet.
Avant même notre FDES, nous étions persuadés d’avoir un impact. Depuis, c’est prouvé. C’est important pour nous de faire partie de la solution. La solution n’est pas unique, il faut améliorer la construction sur tous les aspects.
Pour fabriquer une peinture, il y a des composants qui ont été extraits de la planète, transportés, transformés par de la chimie lourde, avec un impact environnemental considérable, tout cela pour que 10% finisse en combustible de mauvaise qualité, alors qu’on peut le remettre dans la boucle. C’est la mission que nous nous sommes donnée.
Pourriez-vous nous faire part d’engagements que vous avez pris personnellement, ou en tant que dirigeant d’entreprise, en faveur des questions climatiques ?
Oui, bien sûr. Nous sommes tous à des niveaux d’avancement différents sur ces questions. Dans mon foyer, on avance vers le zéro déchet, lentement mais de façon déterminée. L’économie circulaire est une culture maison, nous recommandons aux grand-parents de mon fils de ne pas lui acheter des jouets neufs en plastique, quand on voit tout ce qu’on peut récupérer.
Quand on commence dans l’entrepreneuriat, on est un peu « fauché ». J’ai au démarrage beaucoup réduit ma propre consommation, et depuis que j’ai un salaire, je n’ai pas tout repris. Ces petits gestes individuels ont aussi de l’importance.
Vous avez évoqué tout à l’heure votre engagement dans l’économie sociale et solidaire, comment est-ce que cela se traduit ?
J’ai démarré l’entreprise sans penser à cet impact, et quand mon associée Marianne RITTAUD a rejoint l’entreprise, elle a porté la question de l’impact social de notre activité.
C’est quelque chose qui est courant dans l’économie circulaire, d’allier impacts social et environnemental. Nous avons mis en place une vraie démarche sociale et solidaire. Dans notre structure de coût, du fait que nous avons moins de coûts de matière première, nous le transférons en coût de personnel. Nous formons des personnes qui n’avaient pas à l’origine de qualification pour faire d’autres métiers, dans une dynamique d’insertion.
Nous venons de réussir notre première insertion. Une personne au parcours compliqué à l’origine, vient de passer en CDI à temps plein. Il est volontaire, dynamique et est force de proposition. Il s’occupe du tri des peintures, il les qualifie, les trie, etc. Nous sommes en train de le faire monter en compétence sur autre chose. C’est une vraie satisfaction pour tous.
Nous travaillons également avec un ESAT (Établissement et Service d'Aide par le Travail) pour l’étiquetage de nos pots de peinture. C’est une vraie source d’épanouissement pour les personnes qui travaillent sur notre projet à l’ESAT, mais aussi pour nos collaborateurs qui sont à leur contact !
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ? les tendances émergentes qui vont se généraliser, les « mauvaises habitudes » qui vont cesser ?
Avec mon regard, quand je vois certains projets qui sont extrêmement ambitieux, qui mettent la haute technicité du bâtiment au service d’une baisse du bilan carbone, cela donne bonne une idée de l’évolution souhaitable.
J’ai bien conscience que c’est complexe, mais il peut y avoir des choix simples, comme de choisir une peinture recyclée, c’est quelque chose d’hyper simple.
La tendance vers des achats responsables est une tendance qui va se généraliser, j’en suis persuadée.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? ce qu’il vous apporte ? ce que vous lui apportez ?
A la base je suis Nantaise, j’habitais à la Beaujoire. J’en suis partie après le Lycée, j’avais besoin de voir autre chose. Je suis toujours contente de retourner à Nantes comme à l’occasion du bootcamp organisé par COUGNAUD avec les finalistes du concours ACCELERONS.
Je suis venue sur Bordeaux pour suivre mon conjoint. Maintenant, j’y suis attachée. C’est une grande ville dynamique, avec un bel écosystème, des startups, des synergies.
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin (familier, ami, musicien, artiste, romancier, ville, lieu secret, etc.) ?
La famille et mon lieu de vie me donnent l'énergie dont j'ai besoin. Mon mari et mon fils sont une ressource. Mon lieu de vie, insolite, m’apporte également beaucoup.
Pouvez-vous évoquer pour nous votre plus bel accomplissement professionnel ?
J’ai vraiment eu le sentiment d’accomplissement la première fois que j’ai vu la peinture se fabriquer à grande échelle. C’était un moment où forcément il y restait encore un doute. Nous avions travaillé plusieurs mois dans notre laboratoire, et le passage à la production pouvait créer des surprises. Et là, on a vu que la peinture était belle, et que cela marchait.
Il y a eu un effet waouh!
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
Le jour où l’on va intégrer en interne l’industrialisation, ce sera un beau pas-de-coté. Actuellement, alors que nous avons notre propre laboratoire, la peinture est encore fabriquée chez des sous-traitants.
Cette question n’est pas sans impact. Quand on a fait l’ACV, il y a des éléments qu’on ne maitrisait pas comme la source d’énergie. Quand on pourra intégrer l’industrialisation, on essaiera d’être à fond sur tous les aspects de la production responsable : l’énergie renouvelable, etc.
Vous êtes lauréate d’ACCELERONS, le Concours d’open innovation organisé par COUGNAUD, quels bénéfices en attendez-vous ?
Notre ambition dès le départ était de le gagner !
Ce qui nous a intéressé, c’était la mise en relation et tous les workshops prévus avec des professionnels de notre secteur. Rien que pour le bootcamp qui a eu lieu en septembre 2020, cela valait le coup. La mise en relation est au top. Nous avons eu les premiers retours sur les tests chez Cougnaud, c’est très encourageant.
Une belle rencontre au cours de concours ACCELERONS ?
J’ai apprécié la rencontre avec Laurent Rossez, Président de NOVABUILD. Il était hyper pertinent, et hyper « droit au but ». Si on l’avait rencontré au moment de la levée de fond, on lui aurait certainement proposé de participer à notre projet, et d’entrer dans notre comité stratégique.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, le 27 novembre 2020
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