
Faciliter la transition carbone | Rencontre avec Thomas PEVERELLI, ESTEANA
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Témoignages

Bonjour Thomas Peverelli, comment allez-vous dans cette période de crise sanitaire, doublée d’un début de crise économique, sans oublier la crise climatique qui s’accentue ?
Très bien, merci. Je suis dans ma nouvelle structure, ESTEANA, depuis septembre. Je me suis bien adapté, à tel point que j'arrive déjà à développer d’autres projets, on aura l'occasion de revenir dessus tout à l’heure je pense.
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels et professionnels ?
Woaouh, ce n’est pas facile.
Je dirais que je cherche des projets militants, je suis quelqu'un d’engagé sur le plan climatique. Je cherche un accord entre ce que je prône et ce que je fais.
Je cherche aussi à mettre une pointe d’humour caustique dans mes échanges avec les autres.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant de rejoindre ESTEANA ?
J’ai fait un Master en écoconception et gestion des déchets, ce qui m'a amené à travailler pendant 2 ans chez MILLET, fabricant de menuiseries dans les Deux-Sèvres. A l’issue du CDD, je suis entré chez EVEA, ce qui m’a amené à me déplacer vers Nantes. J’ai travaillé pendant 10 ans au sein d’EVEA. J'étais seul sur les FDES au départ, et, cette année, nous étions une dizaine sur ce sujet.
Je pensais avoir fait le tour, et j’avais envie d’autre chose.
J’ai rejoint ESTEANA il y a quelques semaines pour "mettre les mains dans le cambouis". J'ai voulu passer du statut de directeur à celui de réalisateur d’ACV. Mon projet est de travailler avec des clients que je choisis et qui me choisissent, et de faire des projets qui m’intéressent et qui me motivent, des projets militants si possible.
Pouvez-vous présenter ESTEANA ?
ESTEANA existe depuis 2 ans. C’est une entreprise constituée de 5 consultants qui réalisent tous des Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire (appelées plus communément des FDES), dont trois vérificateurs habilités par l’AFNOR. Notre point commun est de choisir des projets qui nous portent, avec une qualité élevée. Ce que nous voulons, c’est tirer autant que possible le marché de la FDES vers le haut.
En quoi c’est important de faire des FDES ?
Réaliser des FDES c’est important pour pouvoir mettre en œuvre des projets bas carbone, actuellement dans une démarche volontaire, et, dans quelques mois, dans le respect d'une nouvelle réglementation, la RE 2020, qui va amener à prendre en compte l’impact sur le changement climatique de la construction, et donc son poids carbone.
Pour cela, il faut que chaque produit incorporé dans le bâtiment dispose d'une Analyse de Cycle de Vie (ACV), ce qui se traduit par une Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire. S’il ne dispose pas de cette FDES, ceux qui auront à faire le calcul au niveau du bâtiment prendront une donnée par défaut. La donnée par défaut est par définition défavorable au produit, le facteur peut aller de 30 à 100% suivant les produits.
Pouvez-vous préciser ce qu'est pour vous une FDES de qualité dont vous parliez tout à l'heure ?
Il y a le fond et la forme. Sur la forme, il s’agit de les rendre aussi claire et compréhensible que possible, même pour un non initié. On essaie même de travailler un minimum la charte graphique, dans la mesure de ce que permettent les normes bien sûr. Sur le fond, nous travaillons au mieux les scénarios de cycle de vie, avec des données justifiées, sans raccourcis et en interprétant la norme au plus juste.
Ce qu’il faut comprendre avec la FDES, c'est que, si on ne le fait pas de façon approfondie, on devra prendre des données moyennes. Une FDES de qualité va permettre de chercher des données plus précises, ce qui permet de mieux justifier les scénarios, et donc de réduire les facteurs de sécurité que l’on prend au détriment de la valeur carbone du produit dont on fait l’analyse.
Quand vous livrez une FDES à un client, est ce que cela provoque des changements dans sa production par exemple ?
Quand le résultat n’est pas à la hauteur de ce qu’on souhaite, il y a deux manières de réagir, soit on travaille les données, soit on change réellement le produit.
Si l'on cherche des entreprises qui ont fait évoluer leurs produits après un travail d'ACV, on peut se référer à Millet dont je parlais tout à l'heure. Ce travail les avait amené à changer leur modèle de conception de menuiseries pour limiter par exemple la quantité d’aluminium primaire, diminuer le silicone et améliorer la recyclabilité du produit.
Vous parliez à l'instant de la RE 2020. La présentation de la future réglementation a été l'occasion de découvrir le concept d'ACV dynamique. Vous pouvez nous décrypter les enjeux sur cette question ?
L'ACV dynamique permet de ne pas compter à la même hauteur les émissions de carbone lors de la production qu’en fin de vie, c’est l’intérêt de ce concept. Même si cela consiste d'une certaine façon à « fausser les calculs », le fait est que l’urgence climatique est maintenant, et que si on n’agit pas maintenant, ce qui se passera dans 50 ans sera de toutes façons un autre monde, où ces questions paraîtront bien futiles.
Ce qui est particulier, c’est que cette approche n’existait pas scientifiquement. L’ACV dynamique relève un peu de l'arbitraire. C’est indéniablement politique, et cela a du sens dans la lutte contre le changement climatique. Si on ne fait pas de la politique pour lutter contre le dérèglement climatique maintenant, on ne voit pas très bien quand est-ce qu’on en fera !
Quel est votre rôle, votre contribution au sein de ESTEANA ?
Je me remets à refaire des FDES et de l’ACV. Avant je gérais des projets et des timings, j’étais un agitateur et pas un faiseur. Je continue à faire des vérifications, comme chez EVEA, mais de façon plus sereine.
Cela m’apporte une satisfaction intellectuelle, cela me fait travailler les méninges, et, chose importante, j’assume mes erreurs.
Quelle sont vos cible(s), ou marchés ?
Nous sommes 25 en France à être habilités par l’AFNOR à vérifier, et, parmi ces 25 personnes, nous sommes 3 à ESTEANA.
Notre place sur le marché, c’est plutôt le haut de gamme. Nos clients nous choisissent parce qu’ils savent que cela va bien se passer, avec un respect des engagements et des délais. Ils viennent aussi pour notre capital sympathie. Nous entretenons avec eux un relationnel fort. Le côté militant, la qualité et la sécurité sont aussi des motivations de nos clients.
Quelles sont les 2-3 réalisations dont vous êtes le plus fier ces 5 dernières années ?
La FDES dont je suis le plus fier est celle du béton de chanvre réalisée pour Construire en Chanvre et qui a nécessité un travail conséquent. Cette FDES permet à ce matériau d’avoir sa place sur le marché et lui permet de se placer dans une démarche bas carbone. Cela faisait plaisir d’avoir une FDES sur ce sujet.
Ce dont je suis aussi assez fier est d’avoir fait avec EVEA, pour l’ADEME, un guide des matériaux biosourcés à destination des acheteurs publics.
Enfin, plus récemment, je suis missionné sur un projet soutenu par l’ADEME et l'Etat destiné à travailler à la révision de la norme et au renouvellement des FDES. Nous travaillons avec 3 autres confrères. C’est une mission intéressante qui offre une certaine reconnaissance.
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la R&D ?
Nous avons des projets de recherche, mais cela reste marginal. Un projet de recherche dure trois ans. On ne peut mener que quelques projets à la fois dans notre petite structure. Dans le monde de l’ACV, c’est très important de faire de la recherche, parce que l’ACV se place en amont du développement des produits, et donc il faut la coupler à l’écoconception, cela ne peut se faire a posteriori.
Du reste, nous développons depuis un peu plus d’un an une solution de logiciel en ligne pour permettre aux entreprises des FDES à moindre coût. Cet outil doit leur permettre de comparer différentes solutions sur un plan environnemental et disposer des FDES sans le maintien d’une compétence spécifique sur le sujet. Autonomie et éco-conception en sont les objectifs.
Votre structure intègre-t-elle une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
La question du climat est mon quotidien.
Mon seul regret est d'avoir été obligé de me procurer un ordinateur très performant mais bon, il est d’occasion, comme tout ce qui m’entoure.
Je déménage en juin dans un éco-lieu visant l’autonomie alimentaire et en eau. Je suis assez engagé dans mon quotidien.
Je suis par ailleurs en cours de montage d’une association avec 8 compagnons de route sur la résilience urbaine. Le but est de concevoir des quartiers qui amènent une résilience alimentaire, sur les principes de la permaculture avec pour objectif d’améliorer la résilience alimentaire, combattre l’effondrement de la biodiversité et augmenter le stockage de carbone, notamment.
D’ailleurs, j’aimerais bien avoir l’avis de NOVABUILD sur ce projet de résilience urbaine. Nous aimerions aussi lui donner de la visibilité, le promouvoir auprès des collectivités par exemple.
Pour tout vous dire, ce projet se traduit concrètement en ce moment sur un quartier à La Rochelle. Nous allons postuler au Off du DD en 2021 pour le faire connaître par exemple.
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ? les tendances émergentes qui vont se généraliser, les « mauvaises habitudes » qui vont cesser ?
Je suis assez en amont sur les matériaux de construction, j’ai moins la vision chantier.
Ce que je vois, c’est une généralisation de la recherche de l’impact environnemental des produits. Les gens se posent la question de la légitimité de leur impact et cherchent à le diminuer. La question des matériaux biosourcés monte en force, couplée avec l’intérêt du local, car, si c'est pour leur faire faire des milliers de kilomètres en camion, ça n'a pas de sens.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? ce qu’il vous apporte ? ce que vous lui apportez ?
Je viens d’Alsace. A la sortie de mes études, comme je l'ai dit, j’ai trouvé un stage dans les Deux-Sèvres, chez Millet, et puis il y a eu EVEA, et c’est comme cela que je me suis déplacé à Nantes.
Par mon métier, pour être honnête, je n’ai pas l’impression d’apporter grand-chose à mon territoire, je travaille pas mal à l’international. En fait, c’est NOVABUILD qui constitue mon lien à mon territoire.
Vous pouvez dire quelques mots sur le volet International de votre activité ?
Ces 3 derniers mois, j’ai accompagné 4 projets à l’International. Je travaille pour un syndicat européen, j’ai un client belge, un client allemand et un client néerlandais. J’avais beaucoup de déplacements avec EVEA. Quand je me déplace, je prends toujours le train. Mon record c’est 19h, pour aller en Autriche !
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin ?
J’ai beaucoup de sources d’énergie.
Ma première énergie, c’est le sport, le basket en particulier, qui me la donne. Nantes est un gros territoire de basket. Je suis aux Garennes, sur la butte Ste-Anne, c'est un des clubs historiques de Nantes.
Les enfants, aussi, ils sont une bonne source d’énergie.
Pouvez-vous évoquer pour nous votre plus bel accomplissement professionnel ?
Celui qui m'a peut-être le plus touché c'est quand je suis devenu vérificateur FDES en 2011, j’étais jeune, vraiment... !
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
Mon pas-de-côté, c’est clairement l’éco-lieu que je vais bientôt rejoindre, pour aller vers l’autonomie alimentaire. Ce sera près de Tours. Il y a un volet rénovation important, nous achetons une longère, qui a déjà été rénovée, et d’autres bâtisses qui sont à rénover.
Vous êtes membre de NOVABUILD, quels bénéfices en retirez-vous ?
Ce que j'en attends, c'est d'abord le réseau, la mise en relation avec des gens proches de chez soi, qui partagent des valeurs proches et parfois pas si proches. C'est très bien comme cela d'ailleurs.
Le nombre de personnes que NOVABUILD a sensibilisé à la construction durable est quelque chose d’incroyable !
Il y a une dynamique de groupe à NOVABUILD, reposant sur l’entraide, la bienveillance et le partage, j’apprécie cela particulièrement.
Une belle rencontre avec NOVABUILD…
Sylvain MARIE, anciennement de VTREEM pour le côté humain, et Nicolas NAUD avec lequel nous partageons une passion pour les voyages. J’avais pris 15 mois sabbatiques pour faire un tour du monde sans avion, et lui a fait l’Amérique latine pendant 6 mois.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
El planeta puede vivir sin nosotros, pero nosotros no pademos vivir sin planeta
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, Directeur de Novabuild, le 3 décembre 2020
(2) Commentaires
Dubail Françoise
14/12/2020 - 20:32
Pierre Yves Legrand
12/03/2021 - 11:00
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