
Encourager les filières de réemploi | Rencontre avec Anne-Laure Paty, Cycle Up
Publié le
Changer la taille du texte
Taille du texte : A+ A-
Adhérent
NOVABUILD
CYCLE UP
Cabinets d'ingéniérie - Bureau d'étude
PARIS (75010)
Témoignages

Bonjour Anne-Laure Paty, comment allez-vous dans cette période de crise sanitaire, doublée d’un début de crise économique, sans oublier la crise climatique qui s’accentue ?
Ça va plutôt bien. J’ai de belles perspectives de mon côté et du côté de Cycle Up. Nous sommes sur un sujet qui connaît une forte croissance pour les acteurs avec lesquels nous travaillons. Cela apporte du dynamisme et de l’activité. Et à titre personnel, je serai en congés maternité à partir du mois prochain, il y a donc une ambiance optimiste.
Pouvez-vous vous présenter, vos 3 points forts personnels et professionnels ?
Je crois qu’on peut parler de dynamisme. Je suis quelqu’un qui a beaucoup de ressources et d’énergie à consacrer à ses projets. Je suis engagée. J’essaie de concilier mes valeurs personnelles et professionnelles, ce qui me donne une force complémentaire. Je suis à titre personnel Présidente de l’association Zero Waste France, ce qui est parfaitement en phase avec mon métier d’aujourd’hui.
Pouvez-vous nous raconter comment avez-vous intégré Cycle Up ?
J’ai dix ans d’expérience professionnelle dans la gestion des déchets. Je suis passée par un éco-organisme, un Bureau d’Etudes Techniques, j’ai même été indépendante en Consulting. Dans ce cadre, j’ai travaillé l’année dernière avec une maitrise d’œuvre en démolition qui voulait structurer sa démarche de réemploi.
J’ai eu l’occasion à ce moment-là d’échanger avec Cycle Up, société qui a son siège à Paris. Mon évolution a été naturelle, je suis passé du recyclage au réemploi en rejoignant Cycle Up. C’est un métier dans la lignée de ce que je sais faire, mais sur une nouvelle branche métier pour moi, puisque je ne connaissais pas encore bien les métiers de la construction.
Quand on travaille sur le recyclage et les déchets, c’est assez naturel de rejoindre la construction à un moment ou un autre, du fait notamment du volume du secteur qui produit 70% des déchets dont la moitié échappe à toute valorisation !
Pouvez-vous présenter Cycle Up ?
Cycle Up a été créé en 2018. A l’origine, le sujet est apparu en interne au sein du groupe EGIS, puis il y a eu la création d’une structure ad hoc pour développer le projet.
Cycle Up a pour objectif de proposer une offre globale pour réemployer les matériaux dans les projets immobilier.
Pour répondre à cet objectif, nous avons tout d’abord une place de marché qui met en relation les acheteurs et les vendeurs de biens de construction en réemploi. Pour me faire comprendre, je dirais que c’est une sorte de « Bon Coin » des matériaux. Nous avons aujourd’hui plus de 30 000 références produits sur le site.
Nous avons complété la place de marché par un Bureau d’études car très rapidement nous nous sommes rendus compte que si on voulait disposer de matériaux de réemploi, il fallait aider les acteurs à déconstruire et les accompagner dans ces démarches. Déconstruire un immeuble ce n’est pas la même chose que de le démolir. Ce sont des nouveaux métiers à créer, ou en tous cas, de nouveaux gestes à acquérir.
Notre Bureau d’études accompagne les maîtres d’œuvres, maîtres d’ouvrage et les entreprises pour déposer les matériaux dans un état tel qu’ils pourront être réemployés. Cela suppose de les déposer proprement, les transporter comme un matériau et non comme un déchet, de les stocker et les conditionner dans de bonnes conditions, etc.
Enfin, nous avons une activité de formation et de création d’outils destinés aux acteurs du secteur. Nous avons par exemple créé un outil de diagnostic ressource.
Nous sommes 22 salariés aujourd’hui alors que nous étions 15 l’année dernière. L’idée est d’avoir plus de correspondants régionaux dans les territoires. La place de marché, comme le Bureau d’Etudes, couvre la France entière.
Quel est votre rôle au sein de Cycle Up ?
Je suis la correspondante régionale pour la Bretagne et la Loire-Atlantique.
Je suis le « couteau suisse », à cheval entre la place de marchés et le bureau d’études. Je fais du développement commercial pour les deux. Mon objectif est de densifier l’offre.
Quelles sont les cibles et les marchés de Cycle Up ?
Nous parlons à tous les acteurs de la construction. Sur la place de marché, cela peut être l’artisan, l’entreprise générale, l’entreprise de déconstruction, mais aussi le maître d’œuvre qui fait le diagnostic ressources. Plus nous arrivons tôt sur un projet, plus il y a de chances que le réemploi soit possible. On parle donc beaucoup à la maîtrise d’ouvrage.
Il nous faut comprendre les attentes des chacun des acteurs dans toute leur diversité. Parfois, il faut même « jongler » entre les enjeux de chacun.
Et puisqu’il s’agit de réemploi, de transfert de matériaux, nous sommes naturellement aussi bien intéressés par les sujets de la démolition, que par ceux de la construction neuve.
Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ?
Nous ne sommes effectivement pas seuls sur la question du réemploi. Mais le terrain où se joue le match est tellement vaste, que cela fonctionne en bonne intelligence entre nous.
Nous avons tous nos différences, certains n’ont pas de bureau d’études, d’autres restent ancrés sur le local. On dialogue avec chacun de ces acteurs, car nous pouvons être amenés à chercher des matériaux chez les confrères pour répondre à une demande spécifique par exemple
Sur le volet bureau d’études, il y a beaucoup de compétences sur la question du réemploi, mais peu d’entre elles peuvent aller jusqu’à la concrétisation avec une place de marché.
Nous pouvons nous appuyer sur les compétences des ressourceries et des matériauthèques. Ce sont des espaces qui ont le plus souvent un lieu de vente directe et qui sont ouverts aux particuliers, alors que nous ne nous adressons qu’aux professionnels. Nous pouvons leur offrir une mise en réseau en élargissant leurs marchés.
Notre point fort est bien d’avoir les deux métiers, cela nous donne une vision à 360°. Cela nous permet aussi de voir les tendances, les sujets émerger, de biens suivre les questions réglementaires ou assurantielles.
De ce fait, nous avons une bonne connaissance des attentes des acheteurs, et une bonne vision des filières. Il faut savoir que derrière chaque gamme de matériaux, il peut y avoir une filière spécifique pour le réemploi. On peut évoquer par exemple le plancher technique, la moquette, ou le parquet, mais je pourrais multiplier les exemples.
Le passage Saint-Pierre-Amelot - Réinventer Paris - Maître d'ouvrage : 3F ActionLogement - Architectes : Gaëtan Le Penhuel et associés, SAM architecture
Quelles sont les 2-3 réalisations dont vous êtes le plus fier ces 5 dernières années ?
J’ai en tête un projet intéressant par son ampleur. Nous avons un contrat avec la Région île de France pour réaliser le diagnostic ressources des Lycées qui vont être démolis ou reconstruits. Le diagnostic ressources permet de savoir ce qui peut être réemployé. Cela se traduit par un listing de matériaux, de leur état, de la possibilité de réemploi, de la technique de dépose, des besoins de stockage, etc. Cela représente un potentiel de 75 Lycées. Cela a commencé en décembre 2020. Nous avons fait à ce jour 15 diagnostics. A chaque fois, on présente les pistes du réemploi in situ, c’est ce qu’on préfère, et en alternative, comment et auprès de qui on pourrait les revendre.
Nous avons aussi un projet aussi en Loire-Atlantique, qui consiste en un sourcing extérieur. On va sourcer des matériaux pour un projet de construction neuve en collaboratif, avec Iceo. On a sourcé plus de 1000 mètres linéaires de parquet, ce qui n’est pas rien. Les futurs habitants ont choisi leur futur parquet issu de réemploi, sur une base de données que nous leur avons fournie. Finalement ça leur coûte à peine moins cher que le parquet neuf, car nous avons intégré le temps d’étude, de sourcing, de rabotage, etc. En revanche, cela donne un sens particulier à leur projet.
Nous avons aussi un projet dans le cadre de l’opération « réinventer Paris », le passage Saint-Pierre-Amelot, avec la transformation d’un ancien garage Renault avec 30% de réemploi des matériaux in situ et ex situ. Ce projet est en cours.
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la R&D ?
L’innovation est au cœur de notre projet. On avance au quotidien « dans le noir » suivant l’avancée de la réglementation. Il y a une dimension d’acculturation des acteurs et d’innovation forte, notamment au sein de la plateforme qui demande énormément de ressources, et qu’on améliore au quotidien : on a créé une application permettant aux acteurs de faire eux même un diagnostic ressource, j’en ai parlé tout à l’heure, et on a créé également une possibilité d’avoir un espace vitrine pour les ressourceries et matériauthèques sur la plateforme.
Votre structure intègre-t-elle une démarche d’atténuation, d’adaptation, de transformation, face aux dérèglements climatiques ?
Notre conviction est qu'il faut éviter les déchets.
Il y a un lien entre les déchets et le climat ou la raréfaction des ressources. Travailler sur les matériaux a un impact carbone très clair. De plus, nos matériaux mis à disposition le sont le plus souvent en proximité.
La RE2020 devrait amener à compter les matériaux de réemploi en impact zéro. Si cette intention est confirmée, cela donnera aux projets qui choisiront le réemploi d’atteindre les notes les plus fortes.
Nous intégrons aussi la question sociale avec le recours aux filières de l’économie sociale et solidaire.
Pourriez-vous nous faire part d’engagements que vous avez pris personnellement en faveur des questions climatiques ?
J’essaie d’avoir un engagement à 360 degrés, aussi bien sur l’associatif ou le professionnel.
Avec Zero Waste France, je suis Présidente d’une association qui a comme objectif le zéro déchet et le zéro gaspillage. Notre objectif est de produire moins de déchets, cela passe par la prévention, le changement des pratiques (les consignes, le vrac, etc.). La gestion des déchets c’est tout de même 4% des GES.
Et personnellement, je fais très attention à l’impact de ma mobilité.
Quelle vision portez-vous sur l’avenir du bâtiment, de la ville, des aménagements ?
Avec la loupe Cycle up, je vois beaucoup d’évolutions réglementaires. La nouvelle réglementation sur le diagnostic déchet va bouleverser la filière.
La question actuelle de la pénurie de matériaux va être structurante et de long terme, à mon sens.
Le coût de l’enfouissement bondit. Cela va amener le secteur à se transformer profondément.
Sur le réemploi, tout est possible, c’est une question d’envie. Donc c’est la question de l’acculturation des acteurs et de l’adaptation qui compte, et la formation est primordiale.
La question économique se pose bien entendu, mais on peut faire beaucoup de choses à coûts à peu près constant. Cela donne beaucoup plus de sens à son travail de déposer un matériau qui va être réutilisé que de l’envoyer à la benne. La construction est une grosse machine à faire évoluer, mais cela va dans le bon sens.
Une question maintenant sur votre territoire. Quel est votre port d’attache ? est-ce que vous pouvez décrire votre relation à ce territoire ? Ce qu’il vous apporte ? Ce que vous lui apportez ?
Mon territoire c’est la Bretagne et la Loire-Atlantique.
J’étais parisienne et je suis venue m’installer à Rennes il y a deux ans. Ma famille était en partie bretonne d’origine. Je me sens bien reçue sur le territoire. C’est un territoire très dynamique. La Région est bien impliquée dans l’économie circulaire, avec une appropriation par les acteurs du territoire.
Il y a quelque chose d’humain et d’engagé.
Auprès de qui ou de quoi allez-vous puisez votre énergie quand vous en avez besoin (familier, ami, musicien, artiste, romancier, ville, lieu secret, etc.) ?
La famille, on est trois, bientôt quatre, les amis.
J’ai fait beaucoup de théâtre, j’ai une création de pièce en cours, je fais aussi un peu de chant.
Il y a une maison de famille sur la côte normande, c’est mon lieu secret et mon refuge.
Pouvez-vous évoquer pour nous votre plus bel accomplissement professionnel ?
Le fait de réussir à lier plusieurs casquettes en même temps, être militante et professionnelle, sans jamais renier mes engagements, c’est une ligne de crête dont je suis assez fière.
Et le pas-de-côté que vous n’avez pas encore fait, et que vous aimeriez faire ?
S’engager en politique au niveau local serait-ce pas-de-côté, ou monter un groupe de rock, ou créer un tiers lieu culturel pour favoriser la création. La vie est longue...
Vous êtes membre de Novabuild, quels bénéfices en retirez-vous ?
La première chose, c’est le réseau. On vous a tout de suite identifié comme un des réseaux les plus actifs. C’est important pour nous de créer du lien avec d’autres acteurs engagés. Novabuild est assez foisonnant, avec des groupes de travail, des Visio, des visites de chantiers, etc. Si je voulais me former, ce serait génial, car vous offrez une belle palette d’activité. Il y a une belle veille technique et de marchés, je la lis tous les mois.
Et puis, il y a eu ce moment particulier cette année avec l’élection de votre conseil d’administration. J’ai été assez heureuse de voter.
Enfin, j’espère très vite pouvoir vous retrouver dans des rencontres en présentiel.
Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Propos recueillis par Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, le 12 mai 2021
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour déposer un commentaire